Chronique de Jasmine Sauvé, agroéconomiste – Collaboration spéciale – juin 2020

Bien que la pandémie apporte son lot de bouleversements, elle permet aussi de mettre en lumière le rôle de certains intervenants du secteur agricole, notamment de l’Union des producteurs agricoles (UPA). En effet, c’est dans un contexte agricole plus difficile que l’importance de l’UPA se manifeste davantage, comme cela a d’ailleurs été le cas à plusieurs reprises durant l’histoire : la crise agraire suivant la Première Guerre mondiale, la crise agricole de 1951, celle du lait diafiltré en 2017 et maintenant la COVID-19. Lors de ces crises, l’UPA a toujours joué un rôle majeur pour les agriculteurs.

Les bureaux de la Fédération de L’UPA Mauricie, rue Vachon, Trois-Rivières. Crédits photo: Dominic Bérubé

Bref retour historique

Il est vrai que tout producteur agricole doit légalement cotiser à l’UPA, mais ce syndicat n’a pas été créé par les instances gouvernementales ni imposé aux producteurs. Ce sont les producteurs agricoles, au tout début des années 1900, qui se sont regroupés et qui ont créé l’Union catholique des cultivateurs (UCC), qui deviendra plus tard l’UPA. Il s’agit donc d’une institution fondée par les producteurs et pour les producteurs, et qui s’appuie donc sur un processus décisionnel ascendant.

En 1921, après la Première Guerre mondiale, les prix payés pour les produits agricoles de base ont chuté drastiquement à la suite d’une baisse des exportations : l’UCC a fait des pressions sur les gouvernements pour créer un organisme qui deviendrait très important dans la province, soit la Société du crédit agricole du Québec.

Plus tard, lors de la crise agricole de 1951, les producteurs québécois ont subi des pertes de revenus importantes en raison de la concurrence avec l’Ontario, qui mettait en marché des produits de meilleure qualité à plus faible prix. L’UCC a revendiqué et introduit le contrôle du prix des biens agricoles en fonction des coûts de production. Ce concept, toujours utilisé aujourd’hui, a comme objectif d’assurer aux producteurs agricoles un revenu minimum équivalant au salaire d’un ouvrier spécialisé.

En 2017, c’est entre autres en organisant une des plus grosses manifestations agricoles de l’histoire que l’UPA a convaincu le gouvernement canadien de légiférer sur l’entrée du lait diafiltré sur notre marché national. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres de l’action de ce syndicat agricole.

Consultez les articles de notre dossier sur les enjeux agroalimentaires: Des plants pour l’avenir.

La Covid-19 et l’agriculture

En 2020, la plus grande crainte des producteurs agricoles québécois était que la venue des travailleurs étrangers temporaires soit interdite à cause de la fermeture des frontières, ce qui aurait fragilisé instantanément tout le secteur agricole maraîcher. À l’heure actuelle, près de la moitié des employés agricoles attendus sont arrivés au Québec, mais cela ne s’est pas fait tout seul : ce sont principalement l’UPA et l’organisme FERME (Fondation en recrutement de main-d’œuvre étrangère) qui ont expliqué et communiqué aux gouvernements l’urgence de la situation, et qui ont réussi, en moins d’une semaine, à les convaincre d’accorder l’exemption agricole aux travailleurs agricoles étrangers. Sans un syndicat aussi fort, qui parle d’une seule voix, aurait-il été possible aussi rapidement d’obtenir cette exemption ? Si, au lieu d’un seul syndicat agricole, il y en avait dix, qui chacun défendrait les intérêts de groupes différents, le secteur aurait-il un contact aussi direct avec le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation ? Dans le cas des travailleurs étrangers cette année, c’est l’UPA qui a tiré la sonnette d’alarme et est parvenue à éviter la catastrophe.

Il faut souligner qu’en agriculture, la rapidité de prise de décision est primordiale. Pour toutes les crises agricoles atténuées ou évitées grâce à l’UPA ou à l’UCC, la conclusion est la même : c’est parce que les producteurs agricoles ont une voix unie et forte qu’ils se font entendre aussi rapidement des gouvernements. Économiquement, on analyse le secteur agricole distinctement des autres secteurs en raison de ce qu’on appelle « l’exception agricole ». D’une part, les produits agricoles ont un cycle de production très long et sont périssables, ce qui crée un décalage entre la demande et l’offre. D’autre part, le pouvoir de négociation des producteurs agricoles est faible face à la grande concentration des intermédiaires. Oui, le monopole syndical en agriculture est différent de ce qu’on retrouve dans les autres secteurs économiques, mais l’exception économique agricole nécessite la mise en place de moyens exceptionnels.

Références

GOUIN, Daniel-Mercier (2004). La gestion de l’offre dans le secteur laitier, un mode de régulation toujours pertinent, Groupe de recherche en économie et politique agricoles (GREPA), Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation, Université Laval, Québec, 124 p.

MORISSET, Michel (1987). L’agriculture familiale au Québec, L’Harmattan, Paris, 200 p.

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