Jean-Claude Landry et Jean-Marc Lord – Comité de solidarité de Trois-Rivières – Avril 2020

Sanctions américaines en temps de pandémie

Pour des raisons de santé publique mondiale et pour soutenir les droits et la vie de millions de personnes, Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a appelé le 7 avril dernier à un assouplissement ou à une suspension des sanctions économiques contre certains pays pour permettre à leurs systèmes médicaux de lutter contre la COVID-19 et limiter sa propagation mondiale. Un appel auquel s’est joint le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. « Les populations de ces pays ne sont en aucun cas responsables des politiques visées par les sanctions. De plus, dans un contexte de pandémie mondiale, entraver les efforts médicaux dans un pays augmente le risque pour nous tous », a déclaré Mme Bachelet.

Kim Jong-un – Dirigeant suprême de la Corée du Nord

L’Iran, le Venezuela, la Corée du Nord, le Zimbabwe, le Nicaragua, la Syrie et Cuba font notamment l’objet de sanctions américaines. Dans la majorité de ces pays, les sanctions ont un impact dévastateur sur l’accès aux médicaments et équipements essentiels, tels que les respirateurs et les équipements de protection pour les personnels de santé.

Mais malgré l’appel  à l’assouplissement de Mme Bachelet, relayé par des diplomates américains de haut niveau dans les administrations Bush, Clinton et Obama et par plus de vingt membres démocrates du Congrès (Sénat et Chambre des représentants), la Maison-Blanche est restée de marbre. Au contraire, on a même renforcé les mesures punitives pour certains de ces pays.

Ainsi, les États-Unis inscrivaient récemment cinq entreprises des Émirats arabes unis sur la liste noire des entreprises coupables d’avoir contourné les directives américaines concernant  l’Iran. De plus, l’administration Trump annonçait en mars l’inculpation pour « narco-terrorisme » du président vénézuélien Nicolas Maduro, qu’on est déterminé, à la Maison-Blanche, à chasser du pouvoir.

La Maison-Blanche exclut tout relâchement des sanctions, même en temps de pandémie mondiale.

Même si, en théorie, les sanctions américaines contre l’Iran ne concernent pas le secteur de la santé, l’ONG américaine Human Rights Watch affirmait dans un rapport publié en octobre

dernier que celles-ci privaient la population iranienne de médicaments essentiels et de matériel médical. Même si le pays manque désespérément de masques à oxygène, tests de diagnostic, thermomètres, insufflateurs, les entreprises et les banques américaines hésitent à exporter des produits médicaux ou à financer des activités à caractère humanitaire de peur d’être sanctionnées ou poursuivies par l’administration américaine. Ce qui faisait dire à Kenneth Roth, directeur exécutif de cette ONG, qu’il est « insensé que l’administration Trump aggrave la misère des Iraniens en les privant de l’accès aux ressources médicales essentielles dont ils ont un besoin urgent. »

Pour nombre d’observateurs, si l’administration américaine exclut tout relâchement des sanctions, même en temps de pandémie mondiale, c’est qu’on voit la crise sanitaire actuelle comme une opportunité à exploiter pour renforcer les pressions sur les gouvernements visés et provoquer à terme leur chute. Washington n’a jamais caché ses intentions sur l’objectif poursuivi par la politique des sanctions. En février 2019, le Secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, déclarait à la chaîne CBS : « La situation est bien pire pour le peuple iranien [avec les sanctions américaines], et nous sommes convaincus que cela le conduira à se soulever pour contraindre le régime à changer. »

Ali Khamenei – guide suprême de la Révolution islamique – Iran

Mais cette stratégie pourrait se retourner contre Washington. L’indifférence démontrée par les autorités américaines à l’égard de la souffrance des populations concernées risque, affirme-t-on, d’alimenter la perception au sein de celles-ci, que les sanctions ne visent pas seulement les dirigeants, mais tout le monde et donc les convaincre de l’inimitié des États-Unis à leur égard. C’est en quelque sorte la mise en garde qu’adressait à l’administration américaine, en octobre dernier, la directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, qui déclarait : « Les Iraniens ordinaires, qui subissent le fardeau de la politique de sanctions américaine, se souviendront longtemps des responsables de leurs souffrances. »

Nicolas Maduro – Président de la République du Vénézuela

D’ailleurs le Venezuela, autre pays qui, depuis l’élection d’Hugo Chavez, subit les foudres de Washington, déposait récemment auprès de la Cour Pénale Internationale une plainte pour Crimes contre l’Humanité mettant en cause les États-Unis. Motif : les sanctions contre le Venezuela provoquent non seulement la faim, mais rendent également plus difficile l’achat de médicaments essentiels, deux facteurs qui augmentent la mortalité dans le pays.

Cuba, qui n’a pu recevoir une cargaison de matériel destiné à combattre l’épidémie actuelle en raison de la crainte du transporteur de subir les représailles américaines, devrait tout de même être le pays qui s’en sortira le mieux. Soumis depuis près de 60 ans à un blocus économique total de la part de l’Oncle Sam, Cuba a été forcé de s’organiser en fonction d’un régime permanent de sanctions. Il l’a fait en se dotant, notamment, d’un système de santé et d’une industrie pharmaceutique qui reçoivent les éloges de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour leur qualité et leur niveau d’avancement. La performance cubaine au plan de la santé publique est à ce point reconnue que c’est vers l’Île rebelle que se tournent maintenant plusieurs pays sanctionnés pour les aider à faire face à l’actuelle pandémie.

Le Venezuela, la Corée du Nord et l’Iran font partie des pays, parmi d’autres, où Washington souhaite un changement de régime. Pour des raisons économiques, idéologiques ou stratégiques, le gouvernement américain est prêt à faire souffrir les populations de ces pays malgré la pandémie de Covid-19, pour se débarrasser de leurs dirigeants, Nicolas Maduro, Kim Jong Un et Ali Khamenei.

En vertu du droit international, affirme Human Rights Watch, un pays ou une coalition d’États appliquant des sanctions économiques devraient prendre en compte l’impact de ces mesures sur les droits humains de la population touchée, en particulier son accès aux biens vitaux, notamment les médicaments et les aliments.

Mais en matière de droits humains, les autorités américaines ont semble-t-il une conception bien élastique…

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