Alex Dorval – Novembre 2020 Le 15 octobre dernier se tenait sur les ondes d’ICI RDI, la première mondiale du documentaire Rapide et dangereuse : une course fiscale vers l’abîme, diffusé en marge de TaxCOOP, sommet mondial de la fiscalité. Réalisé par la fiscaliste québécoise Brigitte Alepin, co-instigatrice de TaxCOOP, ce film donne la parole à des fiscalistes, économistes influents et dirigeants d’ONG, exposant les mécanismes d’évitement fiscal dans le contexte de globalisation et esquissant les solutions émergentes pour répondre à cette urgence de la réforme fiscale.

Le documentaire de la fiscaliste Brigitte Alepin a été présenté en clôture de TaxCOOP – sommet international sur la fiscalité qui se tenait à Montréal du 13 au 15 octobre 2020.

Course fiscale vers l’abîme

La course fiscale vers l’abîme (race to the bottom), c’est ce qui se produit lorsque, pour attirer les multinationales et les individus à la tête de celles-ci, les États entrent dans une concurrence fiscale extrême. Un pays revoit son taux d’imposition à la baisse et rapidement d’autres sont tentés de faire de même, ce qui affecte directement les finances publiques et la capacité des États à investir dans les services publics et programmes sociaux.

Prix Nobel, ministre de l’Économie, OCDE…

Pour nous parler du phénomène, Mme Alepin et son équipe ont réuni des fiscalistes, économistes, politiciens et dirigeants de diverses organisations non gouvernementales (ONG). Notons les présences entre autres de l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale et récipiendaire du prix Nobel, Joseph E. Stiglitz; de Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, des Finances et de la Relance; de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et administration fiscales à l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE); puis de Mariana Mazzucatto, professeure au University College of London qui a récemment été présenté comme une des 50 personnalités à surveiller par Bloomberg.

Nostalgie de l’État-providence

On apprend dans le documentaire que les paliers d’imposition étaient plus élevés après la Deuxième Guerre – âge d’or de l’État-providence (Welfare State) – et aurait même atteint jusqu’à 90 % pour les compagnies en Angleterre. Aujourd’hui, en jouant avec la variabilité des règles fiscales d’un pays à l’autre, plusieurs multinationales et grandes fortunes de ce monde seraient moins imposées que les individus aux revenus les plus bas. En transférant une grande partie de ses bénéfices mondiaux en Irlande, Apple a sauvé près de 73 milliards d’impôts. Le chauffeur de Trump paye plus d’impôt que le milliardaire lui-même. Les exemples d’évitement fiscal les plus aberrants s’enchaînent tout au long du documentaire.

Taux d’imposition minimale

L’idée émergente à l’OCDE serait de créer une entente au sein des pays du G20 pour mettre en place de façon multilatérale un taux d’imposition minimale qui viendrait exercer une pression sur les autres pays pour faire de même. La difficulté nous explique le directeur, c’est de convaincre tous les pays du G20 de mettre cette mesure en place de façon coordonnée, pour éviter que quelques états opportunistes en profitent pour tirer leur épingle du jeu en maintenant leur taux au plus bas, ce qui aurait pour effet d’appuyer sur l’accélérateur de la concurrence fiscale plutôt que de la freiner. « Si ce n’est pas à la fin 2020 comme nous avions prévu avant la crise sanitaire, ce sera les pays qui bougeront de façon unilatérale […] ce qui pourra toutefois amener une plus grande concurrence », affirme Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

Taxer les revenus

Une autre des pistes avancées gagne en popularité auprès des gouvernements. Il s’agirait de taxer les entreprises sur leurs revenus directement, plutôt que sur la base des bénéfices. Cela permettrait à chaque pays de taxer les entreprises pour les activités économiques sur leur territoire, peu importe qu’ils aient leur siège social dans ce pays. Cela viendrait aussi limiter les stratégies d’évitement fiscal auxquelles s’adonnent particulièrement les géants du numérique et les GAFAM.

« C’est une guerre fiscale, elle est injuste et il faut y mettre fin » – Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, France.

Dérive ploutocratique

Qu’adviendra-t-il si les pays du G20 n’arrivent pas à s’entendre sur la mise en place d’un taux d’imposition minimale ? Les expert.es dans le documentaire s’entendent presque tous pour dire que la crise déborde déjà le cadre purement financier, citant en exemple la crise des gilets jaunes en France. Cette iniquité dans le traitement fiscal des contribuables alimente un cynisme grandissant qui se traduit dans une perte de confiance d’une très grande partie de la population envers leurs gouvernements. « On assiste à l’explosion des inégalités et à une dérive ploutocratique comparable à ce qui se passe aux États-Unis. » – Gabriel Zucman, Économiste à l’Université Berkeley en Californie. « Il y a une perte de confiance chez les contribuables vis-à-vis ce système d’imposition à 2 vitesses. », fait remarquer Brigitte Alepin.

La fondation de charité comme abri fiscal

La réalisatrice et fiscaliste Brigitte Fiscale prend la parole à quelques moments dans son documentaire. Elle nous apprend entre autres que non seulement les multinationales et leurs PDG usent de ce type de stratégie fiscale, mais que leurs fondations de charité sont également au cœur de ce scandale. Dans le contexte de la crise de la COVID-19, Mme Alepin nous apprend que les supra-riches, leurs entreprises et fondations n’auraient donné que 0,01 % de la valeur totale de leur richesse pour aider à pallier les effets de la crise. Sa voix se joint à celles de plusieurs fiscalistes et économistes qui somment les gouvernements de par le monde d’intervenir face à l’urgence de la réforme fiscale internationale. Dans la dernière portion du documentaire, les intervenant.es font valoir qu’une plus grande justice fiscale est nécessaire non seulement pour éviter l’accroissement des inégalités sociales partout sur le globe, mais pour donner à nos gouvernements, les moyens de répondre à la crise environnementale et refaire une santé aux finances publiques des Nations lourdement affectées par la crise sanitaire.

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