Mireille Pilotto, traductrice et réviseure – Chronique linguistique – avril 2021

La place et la reconnaissance des femmes dans la société se sont accrues constamment au cours du 20e siècle. Et maintenant, au 21e, comment la langue peut-elle refléter cette visibilité féminine ?

Crédits : Getty images

Au Québec, on a procédé il y a déjà quelques décennies à la féminisation des titres d’emploi : les professeure, ingénieure, autrice, banquière, mairesse, etc., ont été très bien acceptées dans l’usage courant – ce qui n’est pas encore le cas en France ni ailleurs dans la francophonie. Voilà au moins un acquis, maintenant incontestable et irréversible chez nous.

Dans tous les autres contextes linguistiques – articles, textes et publications de toutes sortes –, on voit apparaître actuellement une profusion de formes graphiques qui tentent de montrer qu’on tient compte des femmes ou de la part féminine visées par le texte. Exemples : policier.ère.s, agriculteur-trice-s, professeurEs, adjoint,e,s administratif,ive,s.

Cette utilisation improvisée de divers signes graphiques crée toutefois un obstacle à la lecture et à la compréhension immédiate des mots, surtout quand ils sont au pluriel. De plus, on se demande comment énoncer à haute voix de ces termes hybrides ! En fait, le point, le trait d’union, la majuscule et la virgule ont déjà d’autres fonctions en français ; ils ne peuvent pas faire ainsi double emploi. C’est pourquoi l’Office de la langue française recommande d’employer uniquement les parenthèses ou les crochets pour indiquer la cooccurrence du masculin et du féminin : officier(-ière)s, directeur[-trice]s, enseignant(e)s.

Cependant, à mon avis, ce procédé abréviatif est irritant et incohérent : on veut donner au féminin toute la place qui lui revient, mais on recourt à une troncation des mots de ce genre. Ainsi, on se trouve à réduire l’intention et la forme de cette action, on limite donc encore l’espace dévolu aux femmes, c’est parfaitement contre-productif !

Bien entendu, on peut placer en début de texte ou de publication une mention comme celle-ci : Le genre masculin utilisé dans ce document désigne aussi bien les femmes que les hommes. Cette note indique qu’on a bien conscience de l’importance du féminin, mais c’est une manière un peu « Ponce Pilate » de se tirer d’embarras, car on évite d’affronter directement la situation en perpétuant l’usage insouciant du masculin « mur à mur ».

Alors quelle est la solution ? L’audace et l’effort : de fait, il est toujours préférable de formuler un texte en écrivant les mots au long, non pas en les restreignant à une ou quelques lettres d’une terminaison. Une ingénieure et une monitrice ont plus d’effet sur le lectorat qu’une (e) et qu’une (-trice). Si on est véritablement féministe ou simplement convaincu de « l’équité linguistique », on se doit de pratiquer la rédaction non sexiste (appelée aussi l’écriture épicène ou neutre) : par exemple, on écrira les participants et les participantes ou on optera pour les personnes qui participent.

En conclusion, sans adhérer à un féminisme radical, on peut préserver la langue du monopole du genre masculin tout en demeurant pragmatique. Certes, il est plus difficile de repenser systématiquement la formulation des idées en adoptant l’écriture inclusive, mais c’est à mon avis – personnel et linguistique – la seule voie pour affirmer et consolider le genre féminin dans notre langue écrite et orale.

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