René Hardy, janvier 2015

Il n’y a pas si longtemps, le terme « magoua » tenait de l’insulte et du mépris. Jacques Ferron traduit bien le sentiment général qui prévalait au début du XXe siècle dans son Louiseville natal lorsqu’il témoigne ainsi de la perception qu’avaient les Louisevillois des Magouas, leurs voisins qui habitaient le petit village érigé à proximité de la scierie : « J’ai été modelé par le Magoua. Tout ce que je faisais de mal me rendait Magoua. J’ai appris à ne pas être Magoua. Magoua c’est le mot […] équivalent sans doute du nigger ». Des sentiments analogues prévalaient dans certains quartiers de Trois-Rivières où Magouas signifie « ceux qui vivent tout croche » ou des « gnochons ».

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Les habitations de La Pierre vers 1956. Des Trifluviens chassés par la crise économique avaient construit leurs habitations de fortune sur un terrain vacant nommé La Pierre, à l’angle Des Récollets et Des Forges. Le secteur fut rasé au début des années 1970 et plusieurs de ses habitants acceptèrent d’être relogés dans les habitations à loyer modique. Fidèles à leur culture, un certain nombre choisirent de préserver leur liberté en allant s’établir en forêt du côté de Saint-Étienne-des-Grès et de Pointe-du-Lac. Source photo : Collection Gilles Roux

Mais que signifie ce terme ? Le livre bien documenté de Claude Hubert et Rémi Savard, Algonquins de Trois-Rivières veut démontrer les origines algonquiennes de ces métis qui portent tous des patronymes français et s’affichent fièrement comme Magouas. Retraçons brièvement leur itinéraire.

Le sobriquet serait apparu avec la formation du petit-village (aujourd’hui Petite Mission ou village des Magouas) à proximité de la scierie de Legris sur la rivière du Loup en 1830.

Bien avant l’arrivée des Européens, les Autochtones se rassemblaient périodiquement sur le site de Trois-Rivières pour y faire des échanges. Les Algonquins y affluaient. Avec la fondation de Trois-Rivières, en 1634, Champlain voulut les fondre avec les Français pour ne faire qu’une seule race. Mais comment sédentariser ces nomades. Toutes les tentatives échouèrent.

Ils vivaient en petites bandes en plusieurs endroits de la Basse-Mauricie, pratiquant la chasse, la pêche et un peu d’agriculture. On les retrouve à Pointe-du-Lac où le seigneur de Tonnancour leur fait construire un petit village au début des années 1750 ; certains quittent ce village pour s’établir à Yamachiche. D’autres, en 1814, demandent en vain des terres au nord de Trois-Rivières. Ils vivent probablement en périphérie de la ville. Une bande est installée au lac Kapibouska (futur Saint-Tite) et une autre habite Batiscan.

Du côté ouest de la région, des familles vivent à Pointe-du-Lac et à la Petite Mission de Yamachiche sur les rives de la rivière du Loup. À la fermeture de la scierie de Stanton, à la fin du XIXe siècle, un certain nombre de ces Magouas en quête de travail se rapprochèrent de la scierie de Tourville, à Louiseville, où ils érigèrent leurs cabanes. Et quand celle-ci cessa ses activités, d’aucuns migrèrent à Trois-Rivières pour rejoindre la bande qui y vivait déjà depuis des décennies si non depuis toujours. Ils laissèrent peu de traces dans les archives, car ils s’établissaient souvent en squatters.

L’emplacement de la papetière St. Lawrence (Kruger) au début des années 1920 força le déménagement de leurs cabanes vers la partie nord de Ste-Marguerite qui fut nommée Petit Canada. D’autres vivaient dans la Petite Pologne, future paroisse Saint-François-d’Assise. D’autres allèrent rejoindre les plus démunis des Trifluviens qui, chassés par la crise économique, avaient construit leurs habitations de fortune sur un terrain vacant nommé La Pierre, à l’angle Des Récollets et Des Forges.

Rien pour repousser les préjugés qui avaient marginalisé ces Magouas, contribuant à renforcer leur solidarité et leur culture de la liberté du semi-nomade vivant de chasse et de pêche, et à assumer une identité amérindienne dont le livre qui leur est consacré exprime avec bonheur le refus de la honte.

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