Luc Drapeau, mars 2018 Si, le plus souvent, le livre se cache comme il peut du froid et de l’indifférence ambiante en attendant une couverture médiatique appropriée, les salons du livre qui s’installent çà et là au Québec annoncent un réchauffement espéré. À l’heure où la littératie fait la manchette – le Québec étant en queue de peloton au Canada : 19 % des citoyens de 16 à 65 ans ne possèdent pas les aptitudes de base en lecture –, vivons-nous le reste de l’année dans une société qui ne valorise pas la lecture ? Enfer et damnation ! Comme nous ne pouvons être sur tous les fronts, et parce que nous avons un parti pris pour la pensée critique, nous profiterons du soleil favorable du 30e anniversaire du Salon du livre de Trois-Rivières, qui se déroulera du 22 au 25 mars, pour traiter du livre engagé en parlant de deux maisons d’édition qui se démarquent à cette enseigne.

Lire, réfléchir et agir

Ces trois verbes sont ceux qui inspirent les artisans et les militants des Éditions Écosociété à nous fournir de la matière à penser depuis 25 ans. Sur le terrain où ils cogitent et répondent aux multiples questions qui bouleversent l’ici et l’ailleurs depuis un quart de siècle, ils n’ont cessé de « cultiver les savoirs et ouvrir les possibles » à travers des champs et des perspectives dont la valeur cardinale demeure l’écologie sociale. Des livres de Serge Mongeau, militant de longue date, à cette œuvre plus récente de Philippe de Grosbois posant ses lumières sur « les assauts et les résistances à l’ère du capitalisme numérique », en passant par le dernier opus d’Alain Deneault sur le pouvoir outrageux des multinationales, les Éditions Écosociété nous prouvent encore que leur ligne éditoriale n’a pas dérogé de sa volonté initiale de défendre le bien commun tous azimuts pour suivre des visées plus commerciales. Les poursuites de deux compagnies minières contre la parution de Noir Canada en 2008 auraient pu mettre fin à cette belle aventure si elle n’avait pas été portée et soutenue par des citoyens et des organismes qui ont à cœur ces enjeux fondamentaux dans le débat public.

Lux n’est pas un luxe

En regard de la désaffection politique qui sévit actuellement, qui exacerbe notre sentiment d’impuissance et mine notre capacité à réfléchir et à agir, Lux éditeur, sans être le remède miracle, peut certainement faire office de pharmacopée pour les divers maux rongeant l’animal social qui nous habite, en nous fournissant de nouvelles ou substitutives réponses à ceux-ci. Cadette de trois ans de sa consœur susmentionnée, avec qui elle ne craint pas de partager la route de l’engagement suivant une ligne éditoriale cependant plus axée sur l’histoire de l’Amérique et sur la réflexion politique d’inspiration libertaire, Lux Éditeur prône haut et fort qu’elle est mue par sa liberté de penser le monde. « Cultiver l’indépendance d’esprit et inspirer les révoltes », tel est le leitmotiv qui amène les esprits d’ici (Baillargeon, Dupuis-Deri, Denault) à côtoyer les esprits du monde (Chomsky, Hedges, Graeber) depuis 22 ans.

Engagement fonctionnel

Après avoir lu, nous être forgé une pensée critique sur les différents enjeux et avoir cartographié les lieux de notre engagement, il nous reste à implanter ce savoir dans le réel. Soutenir et considérer le sérieux et la passion de ces maisons d’édition et de ceux qui les défendent, c’est peut-être un premier pas vers une véritable œuvre collective. Espérons…

Suggestions que m’inspirent ces maisons d’édition et le livre engagé

*Le documentaire Le prix des mots de Julien Fréchette fait un bel état des lieux de la situation que vivaient Alain Denault et les Éditions Écosociété alors qu’ils étaient poursuivis en justice pour diffamation par les deux sociétés minières canadiennes Barrick Gold et Banro suivant la publication du livre Noir Canada en 2008. Un exemple éloquent des puissants moyens judiciaires dont profitent des entreprises pour « miner » la liberté d’expression.

Le prix des mots, Julien Fréchette, offert par l’Office national du film du Canada

*L’empire de l’illusion, la mort de la culture et le triomphe du spectacle de Chris Hedges, paru en 2012 dans la collection  « Futur proche » chez Lux éditeur, est un livre renversant que je recommande fortement. À travers cinq thématiques (culture, sexualité, savoir, bonheur, Amérique), l’auteur peint un portrait saisissant de la société américaine qui se meurt sous le clinquant de ses démonstrations de force. *Si vous cherchez un essai qui ratisse large dans tous les domaines, qui n’est jamais trop lourd dans sa structure, mais qui éduque sans jamais prendre le lecteur pour un idiot, je vous propose L’art de ne pas être un égoïste : pour une éthique responsable de Richard David Precht aux Éditions Belfond. C’est le genre de livre, à mon avis, qu’il faudrait inclure à notre programme d’éducation « pour une reprise en main de notre mieux-vivre ».

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