Alex Dorval – juin 2020 – Dossier Des plants pour l’avenir

Pendant que l’Union paysanne (UP) continue d’en appeler ouvertement à la fin du monopole de l’Union des producteurs agricoles (UPA), la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) travaille elle de son côté, sans se lancer en guerre idéologique contre l’UPA, à faire valoir la voix de ses membres qui revendiquent plus de place au Québec pour une agriculture plus résiliente sur le plan environnemental et social. Face à la crise sanitaire, l’ensemble de ces organismes reconnait le besoin d’assurer notre autonomie alimentaire et de tendre vers l’autosuffisance. Il semble toutefois que chacun y aille de son diagnostic et de solutions différentes quant aux nouveaux sentiers à battre et aux barrières à faire tomber.

La gestion de l’offre pointée du doigt

Instaurée au Québec dans les années 1970 dans les secteurs du lait, des œufs et de la volaille, la gestion de l’offre est de plus en plus souvent pointée du doigt comme étant trop protectionniste, source de corruption, d’une limitation de l’offre de produits du terroir et d’un marché inefficace en comparaison des pratiques de subvention en cours ailleurs dans le monde, comme aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande.

Les producteurs de laits du Québec défendent de leur côté que la gestion de l’offre permet une meilleure régulation des stocks, qu’elle assure un juste retour aux producteurs et qu’elle protège l’industrie contre la concurrence internationale en provenance de pays où le climat, le coût de main-d’œuvre et les subventions procurent un avantage dans l’exportation.

Le discours des détracteurs de la gestion de l’offre et du monopole syndical de l’UPA ne se fait pas entendre uniquement chez les petits fermiers et au sein de l’Union paysanne, mais également chez plusieurs économistes libéraux et entrepreneurs pour qui il s’agit d’une barrière à l’innovation et d’une contradiction dans un contexte d’accords de libre-échange. Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle le maraîcher bio Jean-Martin Fortier et le milliardaire André Desmarais ont décidé de s’allier dans le projet de La Ferme des Quatre-Temps, une ferme maraîchère située à Hemmingford qui est promue comme modèle de ferme de l’avenir.

D’autres voix se font entendre

Cette confrontation idéologique fait l’objet d’une prise de bec incessante entre l’UP et l’UPA qui s’intensifie depuis la fondation de l’UP en 2001. La pandémie vient amplifier ce conflit au point de faire ressurgir la question de l’autonomie alimentaire du Québec sur la place publique.

La valorisation de l’achat local occupe effectivement une place prépondérante dans le discours du premier ministre Legault depuis plusieurs semaines et ouvre ainsi une brèche pour qu’une pluralité de voix, à défaut d’un pluralisme syndical, se manifeste auprès des instances politiques. Du côté de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ), on constate que l’appel à l’achat local des gouvernements a produit un réel effet puisque la demande pour les paniers bios, qui connaissait déjà une hausse depuis quelques années, a fait un bond de 94 % au printemps 2020.

Les Jardins de la Pointe, ferme maraîchère bio et membre de la CAPÉ, Trois-Rivières, secteur Pointe-du-Lac. Crédits photo: Dominic Bérubé

Une opportunité à saisir

La CAPÉ reconnait les efforts de l’UPA qui a récemment mis sur pied la Table pour le développement des marchés de proximités (TDMP) et, depuis 2016, la Table de développement de la production biologique (TDPB). La présidente Caroline Poirier, également propriétaire et exploitante de la Ferme Croque-Saisons à Lingwick, en Estrie, admet qu’il est toutefois difficile de cohabiter avec la réalité des plans conjoints, un système qui régit depuis les années 1950 la mise en marché collective et qui est souvent décrié comme étant contraignant pour les petites fermes en production diversifiée, parce que géré mur à mur par le syndicat unique de l’UPA, dont l’Union paysanne dénonce également la trop grande influence sur la Régie des marchés agricoles. Mais la CAPÉ prône avant tout une approche par l’action concertée auprès de ses membres et aussi de la population en tenant, entre autres, des journées de réseautage et de formations en autoconstruction de machinerie et outils adaptés à la réalité des petites fermes.

« C’était clair dès l’origine, souligne la présidente, qu’on ne souhaitait pas faire de la polémique en participant à un débat trop polarisé et trop polarisant ». La coopérative a fondé en 2020 L’empreinte de la CAPÉ, un organisme sans but lucratif qui s’occupe notamment du Réseau des fermiers de familles (RFF) d’Équiterre.

Appel à la mobilisation citoyenne

C’est également par le biais de cette entreprise apparentée que la CAPÉ souhaite faire la promotion d’un mouvement citoyen agricole. Avec la réponse des familles québécoises en temps de crise, Caroline Poirier voit « une opportunité à saisir pour faire de l’éducation et faire comprendre la valeur d’une agriculture plus résiliente à échelle humaine, susciter un engagement citoyen et ancrer les habitudes des consommateurs ».

Pour concrétiser cette mobilisation, les maraîchers de la CAPÉ comptaient sur le MAPAQ, mais ce ministère a décidé de fermer pendant la crise le volet 1 de son programme de mise en marché Proximité,  qui vise à « rapprocher les producteurs agricoles et les transformateurs artisans des consommateurs par le développement et la consolidation d’initiatives de mise en marché de proximité répondant aux besoins des consommateurs ». Une attitude que s’explique difficilement la présidente, alors que justement le gouvernement en appelle constamment aux élans de solidarité.

Consultez notre dossier sur les enjeux agroalimentaires: Des plants pour l’avenir

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