Jacques Senécalmilitant de la simplicité volontaire – mars 2020

Aller lentement, dans ce monde planétairement interconnecté où tout est accéléré – les horaires, Internet, les repas, les communications, les relations, le travail, les raisonnements… –, c’est être subversif. Ralentir, dans un monde où il faut produire toujours plus en moins de temps et réaliser encore plus vite l’impossible dont les limites sont au-delà du ciel, c’est séditieux. Et oser, en plus, être en retard, c’est l’insulte suprême qui mérite l’exclusion.

Le « nouveau management du capital humain » qui s’enseigne et qui s’applique à tous les niveaux du travail et de la vie responsabilise indûment tout le monde, autant dans les réussites que dans les échecs, autant dans les reconnaissances que dans les ingratitudes qui s’ensuivent. Entreprise, concurrence, efficacité, engagement, gestion, voilà notre vie quotidienne. La gestion ! Se gérer : de hautes études commerciales à nos enfants de trois ans, apprendre à administrer sa journée, son ordre, sa propreté, ses relations, ses amours et jusqu’à ses émotions… Et sans perdre son temps. Vite ! La vitesse est le nouveau devoir. Nouveau joug ou nouvelle ivresse ?

Le luxe de demain sera la lenteur dans le silence – Anonyme

Ce phénomène est tel que la lenteur est souvent synonyme d’inaction, de mollesse, voire d’ennui. Elle est même considérée comme un obstacle à la course à la renommée, à la « starisation » de la pensée qui sévit aujourd’hui dans le monde de la recherche et de l’administration.

Mais attention ! On voit poindre une résistance à cette frénésie techno-capitaliste. Les excès de la vitesse sont de plus en plus dénoncés et font l’objet d’une attention particulière : le sacro-saint management et l’accélération des cadences sont sources d’épuisement professionnel et de multiples détresses psychologiques, des états en augmentation inquiétante surtout chez les 15-24 ans, selon l’Institut de la statistique du Québec. Pas étonnant que la lenteur s’en trouve alors valorisée.

Combien de nos « civilisé.e.s » travaillent comme des acharnés juste pour pouvoir vivre ou payer leurs dettes, et carburent aux prétendues « valeurs fondamentales » des entreprises ? L’essentiel ne serait-il pas de passer du temps de qualité avec ses enfants, de se décrisper les mâchoires pour rire un peu, de cesser de courir pour marcher ou s’arrêter, de regarder le paysage en silence, de se parler amicalement ? De dîner avec ses proches au lieu de manger devant son ordinateur pour rattraper le temps, de fermer son téléphone pour la soirée ? Ce « temps perdu » à ne pas travailler et à ne plus se soumettre au dictat du business n’est-il pas le sel même de la vie, la simplicité même de vivre ? Du temps gagné pour soi ?

À l’image de notre planète et de ses ressources, le nombre d’heures dans nos journées n’est pas infini ; c’est pourquoi les mouvements slow à travers le monde trouvent des résonances. Certaines villes en transition vers plus d’autonomie énergétique et plus d’harmonie écologique (les Cittàslow)  misent sur la revitalisation des centres historiques, la favorisation des circuits courts d’approvisionnement, l’éloignement des voitures du centre-ville et la présence d’espaces verts et de loisirs. Plus de proximité pour plus de temps à soi, le temps étant une gourmandise qui se déguste, non dont on se goinfre. Vivre plus lentement est une réappropriation du goût de vivre son temps, son présent, une bonne manière de tricoter paresseusement son bonheur loin des trépidations. Vivre en douceur, c’est vivre lentement.

À l’image même de la nature, ce qui doit durer est lent à croître.

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